Egypte: L’indélébile empreinte des Fatimides
· «Al Fawaniss», une vieille tradition qui persiste
· L’animation bat son plein à Khan Al Khalili
· Ramadan, c’est d’abord le vieux Caire
Le Caire ne cesse de cultiver les paradoxes. L’ancrage traditionnel y est tout aussi fort que l’ambition moderniste. Le mois sacré révèle en grandeur nature cette tendance ambivalente. Entre les quartiers résidentiels et le vieux Caire, il n’y a pas photo durant le mois sacré. Autant c’est le calme plat et le vide le jour et le soir à Zamalek, Al Mouhandissine et Al Maadi (quartiers huppés de nantis et d’expatriés), autant Khan Al Khalili et le vieux Caire grouillent d’une animation haute en couleur. Khan Al Khalili Khan, c’est aussi le grand souk du Caire, mondialement connu. En plein cœur du Caire islamique, il est délimité au sud par Al-Azhar, avec sa mosquée et celle de Al-Hussein, et au nord par la mosquée Al-Hakim. Incontournable pendant le mois sacré, le quartier mythique d’Al Khalili ne désemplit pratiquement pas de jour comme de nuit.
· Les tables du Miséricordieux
L’animation monte d’un cran après la rupture du jeûne. C’est une nouvelle journée qui s’annonce, tant il y a d’éclairage et d’animation le soir. Les terrasses de ses cafés sont bondées de 21 heures jusqu’au… s’hour. Le célébressime Café Al Fishaoui reste l’un des lieux les plus réputés et les plus prisés de la capitale égyptienne pendant le mois sacré. Et pour cause: il tient lieu de cénacle pour artistes et autres intellectuels égyptiens. Feu Naguib Mahfouz, Prix Nobel, était l’un des habitués de l’établissement.
Thè, café, limonades et sucreries y sont servis à volonté. L’incontournable chicha n’est pas en reste. D’ailleurs, cette tendance gagne de plus en plus du terrain en Egypte. «Depuis quelques années, c’est devenu à la mode, tout le monde en consomme dans les cafés, y compris des jeunes filles voilées», souligne Abir Saad Omar, une jeune cairote cadre en communication. Les animations, jeux de société, chants, joie de vivre et dégustations… font l’essentiel des activités nocturnes. Des tentes et des chapiteaux sont dressés dès les premiers jours du mois sacré dans les cafés et les hôtels. Elles commencent à vibrer à partir de 22 heures aux rythmes de chants folkloriques et orchestres. Il y en a pour toutes les bourses. Les Cairotes qui aiment faire la fête réservent leurs places dès les premiers jours du mois sacré. Dans les vieux quartiers du Caire (Al Harates) par exemple, l’ambiance est pratiquement la même. L’on installe de grandes lanternes (Al Fawaniss) pour la circonstance. La tradition veut que les enfants portent de petites lanternes et scandent en refrain: «Wahawy ya wahawy». Selon les responsables du service Information de l’ambassade d’Egypte, c’est une tradition, un rituel qui remonte à l’époque fatimide. Dans un autre registre, la spiritualité occupe une place importante au pays des pharaons. «C’est le mois où les fidèles essaient d’être le plus proches possible de Dieu et de l’islam», explique Nagwa Badrane, responsable de l’information auprès de l’ambassade d’Egypte à Rabat. Que ce soit au Caire, à Assouan, à Alexandrie ou encore à Assiout… les mosquées sont bondées le soir. A la mosquée Al Azhar, (à la fois mosquée et université coranique de réputation mondiale située au centre du Caire près du célèbre marché Khan el-Khalili), la ferveur atteint son summum. C’est l’une des plus anciennes mosquées (fondée en 970) et qui abrite l’Université du même nom (la plus ancienne université encore opérationnelle dont un centre coranique qui enseigne à quelque 20.000 étudiants dont 5.000 étrangers). Les fidèles s’y bousculent pour les tarawihs (prières du soir). Outre le recueillement, de multiples activités à caractère religieux sont organisées à la mosquée d’Al Azhar Al Charif. On l’appelle aussi «la Sorbonne de l’islam». Les centres culturels concoctent à leur tour des programmes spirituels pour la circonstance: débats, prêches, psalmodies, chant religieux, prières…
Ce sont autant d’activités prisées aussi par les lieux de culte et les émissions de télévision. De leur côté, les nantis et autres notables, dont de nombreuses vedettes du cinéma et du théâtre, ont pris l’habitude depuis quelques années d’organiser des f’tours collectifs. Connue sous l’apellation Mawaid Arrahmane (n.d.l.r.: les tables du Miséricordieux), «cette opération est un gage de solidarité. Elle est organisée dans différents quartiers et consiste à préparer des milliers de f’tours pour les démunis ainsi que pour tous ceux qui ne peuvent être chez eux lors de la rupture du jeûne», exlique Nagwa Badrane. Selon elle, «cet élan de solidarité s’exporte bien. Il a gagné plusieurs pays musulmans ces dernières années». Et Badrane d’ajouter que la tradition en Egypte se caractérise aussi par les invitations durant le f’tour: «Il est rare de trouver une famille qui prend son f’tour sans inviter des proches, des voisins ou des nécessiteux». D’ailleurs, les visites deviennent nombreuses entre les familles durant la première et la dernière semaine du mois sacré.
· Ragoût de fêves
Auprès des familles égyptiennes, le f’tour est un événement à part entière. Dîner et f’tour sont servis d’un seul coup. En sus des incontournables lait et dattes, la table de la rupture du jeûne comporte des jus, particulièrement «Kamar Al Dine»: un remontant à base d’abricots secs. Autre plat incontournable durant le f’tour, le «foul moudammass», un ragoût de fêves. Il en est de même pour la soupe. Les Egyptiens raffolent également d’ «el khochaf», mets traditionnel prisé lors du mois sacré. C’est une sorte de salade à base de fruits secs (pruneaux, noix, amandes, raisins, dattes…) avec un peu de sucre mélangé à de l’eau de rose. Il est souvent servi lors de la rupture du jeûne avec du jus d’orange. D’habitude, les Egyptiens évitent de manger le poisson durant le mois sacré. Après le f’tour et le dîner, cap sur les sucreries: «oum Ali» et «katayef». Mais en matière de dessert, les Cairotes préfèrent la «konafa» ou encore la «mahallabia» (flan). Après ces excès, le sohour est plutôt raisonnable. Il se réduit aux incontournables fêves, zabadi (yaourts) et fromages blancs.
Amin Rboub Source: L’Economiste
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